PROPOS LIMINAIRE

Dans le premier volet de notre article « Le régime de changement d’usage et de compensation méconnaît-il le droit de l’Union ? » du 30 avril 2020 (à retrouver ici), nous vous présentions les deux affaires jointes C-724 et C-727/18 Cali Apartements SCI et HX c. Procureur général près de la cour de Paris pendantes devant la Cour de Justice de l’Union européenne (CJUE).

CONTEXTE

Dans une décision, confirmée en appel le Tribunal de Grande Instance de Paris avait condamné la Société Cali Apartments à 5 000€ d’amendes et ordonné le retour à l’usage d’habitation du local.

En cassation, les défendeurs ont soulevé un nouveau moyen : la méconnaissance par l’article L. 631-7 du Code de la Construction et de l’Habitation (CCH) et de la réglementation relative à l’usage à Paris du droit à la libre prestation de service garanti par le droit de l’Union européenne.

Aussi, la Cour de cassation a-t-elle décidé de surseoir statuer et de saisir la CJUE à titre préjudicielle aux fins de savoir si la directive dite « service » (directive 2006/124/CE) était applicable au cas d’espèce et si la réglementation natioanle y était contraire.

Dans le cadre de l’examen de la requête, l’avocat général de la CJUE a rendu des conclusions soulignant une conformité en clair-obscur du droit national avec le droit de l’Union européenne.

D’une part, il considérait que le régime d’autorisation et de compensation prévu à l’article L.631-7 du Code de la construction et de l’habitation rentrait effectivement dans le champ de la directive « service » et était donc soumis à ses dispositions.

D’autre part, l’avocat général admettait que la condition de la « raison impérieuse d’intérêt générale » était satisfaite pour l’établissement d’un régime d’autorisation de changement d’usage en France et à Paris.

Enfin, l’avocat général considérait en revanche que la proportionnalité du régime d’autorisation et de compensation était moins évidente – bien qu’envisageable – et devait être laissé à l’appréciation de la juridiction nationale.

Pour la CJUE, le régime du changement d’usage est conforme au droit européen

Dans un arrêt Cali Apartments SCI et HX contre Procureur général près la cour d’appel de Paris et Ville de Paris du 22 septembre 2020, la Cour de Justice de l’Union européenne a confirmé les conclusions de l’avocat général.

En premier lieu, la Cour de justice considère que la directive « service » est effectivement applicable à une réglementation d’un Etat membre relative à des activités de location contre rémunération de locaux meublés destinés à l’habitation à une clientèle de passage.

En deuxième lieu, la Cour de Justice considère que ‘l’objectif poursuivi par la réglementation nationale relative au changement d’usage, à savoir la lutte contre la pénurie de logement et la hausse continue des prix,, constitue une raison impérieuse d’intérêt général au sein du droit de l’Union européenne.

En troisième lieu, la Cour, considérant le caractère circonscrit aux communes de plus de 200 000 habitants de l’article L. 631-7 CCH, et considérant les limites que rencontreraient un système simplement déclaratif en raison desquels l’objectif poursuivi ne pourrait être réalisé par une mesure moins contraignante, estime « le régime d’autorisation préalable applicable […] est proportionné ».

Du reste, la Cour reconnaît que les modalités prévues pour l’exercice du régime d’autorisation permet de garantir une prise en compte adéquate des circonstances spécifiques de chacune des communes concernées, « dont les autorités locales ont une connaissance privilégiées. La Cours se fonde, sur ce point, sur le caractère général du L. 631-7 CCH qui laisse la liberté aux communes concernées de fixer librement les conditions précises du délivrèrent des autorisations de changement d’usage. De sorte que les règles ne sont pas identiques entre les communes de plus de 200 000 habitants.

En quatrième lieu, la Cour de Justice se prononce sur les « exigences de clarté, de non-ambiguïté et d’objectivité » prévues à l’article 10 de la directive « service ». Or, nonobstant les arguments des requérants qui soulignent que la réglementation nationale en cause au principal est « fondée sur une notion ambigüe et difficilement compréhensible », la Cour considère, pour sa part qu’elle présente « un degré suffisant de précision et de clarté ».

EPILOGUE

La CJUE, dans ses réponses aux questions préjudicielles qui lui étaient adressées, s’est donc prononcée en faveur de l’interprétation défendue par la Ville de Paris et du Procureur près la cour d’appel.

Le régime d’autorisation est considéré non seulement conforme au droit de l’Union, mais aussi clair, proportionné et justifié par un motif impérieux d’intérêt général.

Pour autant, la Cour laisse aux juridictions nationale le soin d’apprécier détails des sa mise en œuvre. En particulier s’agissant des fondements des décisions de refus des autorités locales. Aussi, alors que la Ville de Paris s’est dite confortée par l’arrêt de la CJUE, les plateformes de location ont également exprimé leur satisfaction, considérant que la charge de la preuve s’était équilibrée entre propriétaires et autorités.