CONTEXTE

Dans un arrêt du 15 novembre 2018, la troisième chambre civile de la Cour de Cassation décide, conformément à l’article 267 du Traité de l’Union Européenne (TUE), de consulter la Cour de Justice de l’Union Européenne (CJUE) à titre préjudiciel.

Ce renvoi préjudiciel intervient dans le cadre d’un litige entre le Procureur général près la cour d’appel et une SCI pour l’application du L.631-7 CCH.

Il est formé au motif de savoir si l’encadrement des locations de meublés touristiques et d’affaires était contraire ou non à la libre prestation de services laquelle est garantie par le droit de l’Union européenne, primaire (art. 56 TFUE) et dérivé (directive 2006/123/CE).

Aussi, le 2 avril 2020, l’Avocat Général de la CJUE, M. Michal Bobek a-t-il présenté ses conclusions dans deux affaires jointes C-724 et C-727/18 Cali Apartments SCI et HX vs. Procureur général près la cour d’appel de Paris (retrouvez-ici le texte intégral des conclusions).

Le présent article revient sur la genèse de l’affaire ainsi que sur les conclusions de l’Avocat Général et l’analyse qui peut en être faite.

Dans un arrêt du 15 novembre 2018, la troisième chambre civile de la Cour de Cassation décide, conformément à l’article 267 du Traité de l’Union Européenne (TUE), de consulter la Cour de Justice de l’Union Européenne (CJUE) à titre préjudiciel.

Ce renvoi préjudiciel intervient dans le cadre d’un litige entre le Procureur général près la cour d’appel et une SCI pour l’application du L.631-7 CCH.

Il est formé au motif de savoir si l’encadrement des locations de meublés touristiques et d’affaires était contraire ou non à la libre prestation de services laquelle est garantie par le droit de l’Union européenne, primaire (art. 56 TFUE) et dérivé (directive 2006/123/CE).

Aussi, le 2 avril 2020, l’Avocat Général de la CJUE, M. Michal Bobek a-t-il présenté ses conclusions dans deux affaires jointes C-724 et C-727/18 Cali Apartments SCI et HX vs. Procureur général près la cour d’appel de Paris (retrouvez-ici le texte intégral des conclusions).

Le présent article revient sur la genèse de l’affaire ainsi que sur les conclusions de l’Avocat Général et l’analyse qui peut en être faite.

RAPPEL DES FAITS DEVANT LES JURIDICTIONS NATIONALES

En première instance puis en appel, le juge national confirme que la location en meublé touristique et d’affaires requiert un changement d’usage et une compensation conformément à l’article L.631-7 CCH.

En novembre 2015, le Procureur de la République près le tribunal de Grande Instance de Paris (TGI Paris) a fait assigner la Société Cali Apartments devant le juge des référés pour infraction aux dispositions de l’article L. 631-7 du Code de la Construction et de l’Habitation (CCH).

Il était reproché au défendeur de méconnaître l’usage d’habitation d’un studio sis dans le 7e arrondissement de Paris et de l’utiliser à des fins commerciales, en l’espèce en le louant comme meublé touristique et d’affaires sur le site Airbnb.

Le TGI de Paris a fait droit aux demandes du Procureur de la République et condamné la Société Cali Apartments à 5 000€ d’amendes et ordonné le retour à l’usage d’habitation de l’appartement.

En deuxième instance, la Cour d’Appel de Paris a confirmé le jugement du TGI de Paris, à l’exception de l’amende qui a été relevée à 15 000€ (CAA Paris, Pôle 1 – chambre 8, 19 mai 2017, n°16/02954)

En Cassation, la Sté Cali Apartments soulève un nouveau moyen : la méconnaissance du droit à la libre prestation de services garanti par le droit de l’Union européenne.

La Société Cali Apartments fonde son pourvoi en cassation sur le moyen selon lequel l’arrêt de la Cour d’Appel de Paris méconnaîtrait la primauté du droit de l’Union européenne dans la mesure où l’encadrement des locations meublées prévue par la loi se heurte au droit à la libre prestation de service garanti par les traités.

Pourtant, les restrictions au droit à la libre prestation de service sont autorisées par le droit de l’Union Européenne (article 9 de la directive 2006/123/CE dite « services » du 12 décembre 2006).

Cependant, et c’est ce que conteste la Société Cali Apartments en l’espèce, ces restrictions ne sauraient être conformes au droit de l’Union que si elles sont (i) justifiées par une raison impérieuse d’intérêt général et (ii) proportionnées.

Dès lors, conformément aux règles encadrant le dialogue des juges au sein de l’Union européenne, la Cour de cassation a saisi le CJUE d’une question préjudicielle aux fins de savoir si la directive dite « service » était applicable en l’espèce et si le L. 631-7 CCH y était conforme. (retrouvez ici l’intégralité de l’arrêt de la Cour de cassation).

LES CONCLUSIONS DE L’AVOCAT GÉNÉRAL

Le régime d’autorisation et de compensation prévu à l’article L. 631-7 CCH rentre effectivement dans le champ de la directive dite « service » et est soumis à ses dispositions.

L’application de la directive « services » pouvait être interrogée. C’est le parti pris par les Gouvernements allemands et irlandais dans leurs observations s’appuyant sur les considérants de la directive. Avec le premier, il aurait été possible de considérer que le L. 631-7 ne réglementait pas un service mais un bien. Le second considérait que le L. 631-7 relevait de la règlementation en matière d’aménagement ou de développement du territoire laquelle est exclue du champ d’application de la directive.

Ces solutions n’ont cependant pas été retenues par l’avocat général pour deux raisons.

La première est que les considérants n’ont pas de portée juridique, en particulier pour ceux cités en l’espèce pour lesquels il n’existe pas de disposition normative correspondante dans la directive.

La seconde parce qu’à son sens « l’obtention d’un changement d’usage est tout simplement une exigence qui affecte l’accès à la fourniture [du] service particulier » qu’est l’offre de location de courte durée.

L’avocat général admet que la condition de la raison impérieuse d’intérêt général est satisfaite pour l’établissement du régime d’autorisation de changement d’usage.

La Ville de Paris et le Gouvernement français, dans leurs observations, ont mis en avant la lutte contre la pénurie de logements – et la hausse des prix – comme raison impérieuse pour justifier le régime du L. 631-7.

Sans présumer – ni d’ailleurs exclure – de l’existence d’autres motifs qui pourraient être recevables, l’avocat général reconnait « sans hésitation » la lutte contre la pénurie de logements et la protection de l’environnement urbain comme des raisons impérieuses d’intérêt général légitimes.

La condition de proportionnalité du régime d’autorisation et de compensation est en revanche moins évidente bien qu’envisageable, et devra être appréciée par la juridiction nationale.

Rappelons que suivant la jurisprudence constante de la CJUE, la proportionnalité implique que les « mesures en cause soient propres à garantir la réalisation de l’objectif poursuivi, n’aillent pas au-delà de ce qui est nécessaire et que d’autres mesures moins contraignantes ne permettent pas d’atteindre le même résultat » (CJUE, 7 novembre 2018, Commission c. Hongrie).

L’avocat général se penche, dans un premier temps, sur la proportionnalité du régime d’autorisation en soi. Ce dernier est, admet-il, proportionné. Non seulement parce que les autres mesures envisageables – la Sté Cali Apartments évoquait la possibilité d’une taxe dans sa déclaration écrite – seraient peu efficaces en comparaison, mais aussi parce que le L. 631-7 a d’ores et déjà intégré des éléments de proportionnalité : application différenciée selon les territoires, régime adapté pour les résidences principales…

Si le régime d’autorisation apparaît proportionné, l’avocat général interroge davantage le mécanisme de compensation qui l’accompagne. Il reconnaît que « la manière dont cette obligation est conçue est très efficace pour atteindre l’objectif poursuivi », ce qui n’est paradoxalement pas sans conséquence sur sa proportionnalité. En effet, il est possible, pour l’avocat général, qu’il favorise les professionnels au détriment des particuliers, les premiers ayant plus de facilités pour compenser leurs locaux que les particuliers.

Pour autant, l’avocat général conclu qu’il reviendra à la juridiction nationale d’apprécier ce point à l’aune des informations plus précises dont elle pourrait bénéficier. Plus encore, M. Bobek appelle à laisser aux Etats membres une large marge d’appréciation en la matière. Au risque, admet-il, de produire chez les tenants d’une Union harmonisée par le droit, « un certain malaise intellectuel »…

EPILOGUE

Les conclusions rendues par l’avocat général ne dessinent que des pistes pour la Cour de Justice qui pourra, librement, s’en écarter. Pour autant, elles livrent un éclairage nouveau du L. 631-7 CCH à la lumière du droit de l’Union européenne.

Le changement d’usage apparaît non seulement être compatible avec le droit communautaire sur les prestations de services, mais également un régime de contrôle intéressant par rapport aux alternatives qui pourraient être proposées. Plus encore, il apparaît répondre au besoin des politiques publiques pour un plus grand équilibre des usages urbains et d’accessibilité du marché immobilier.

Le tableau que dresse l’avocat général esquisse par ailleurs des lignes de fuite qui ne manqueront pas de susciter l’interrogation ou la curiosité, en particulier l’appréciation du régime de compensation à l’aune du principe de proportionnalité.

S’il convient d’attendre l’arrêt de la Cour de cassation pour apprécier la portée du renvoi préjudiciel sur ce point, on peut d’ores et déjà se demander dans quelle mesure le droit français sera sensible à l’idée avancée par l’avocat général de transformer l’exigence de compensation, qui s’applique aujourd’hui uniformément aux personnes, en une contrainte modulée en fonction du patrimoine ou des surfaces concernées.